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La paix ne peut être construite sans les femmes
2 octobre 2025
La paix ne peut être construite sans les femmes
En mai 2025, SOLSOC a accueilli à Bruxelles une délégation de la société civile congolaise pour rappeler aux décideurs belges et européens la nécessité d’intégrer pleinement la société civile dans des négociations de paix trop souvent menées au niveau des États et déconnectées du terrain. C’est dans ce cadre que nous avons rencontré Maître Nelly Mbangu, avocate au barreau du Nord-Kivu, Présidente de la Dynamique des Femmes Juristes et Coordonnatrice de la Plateforme des organisations féminines SAUTI YA MAMA MUKONGOMANI (La voix de la Femme Congolaise en Français). Figure de la lutte contre les violences sexuelles, elle milite pour l’inclusion des femmes dans la construction d’une paix durable en RDC.
Bonjour Nelly vous êtes une militante et activiste reconnue dans votre pays, vous avez dédié une part importante de votre vie à lutter contre les violences sexuelles. Comment est né cet engagement ?
C’est la situation sécuritaire extrêmement fragile dans l’est de la RDC qui a motivé mon engagement. J’ai moi-même vécu la guerre. J’ai vu de mes propres yeux des femmes victimes de violences sexuelles, des familles détruites. J’étais encore étudiante à l’époque et, avec quelques collègues, nous avons voulu agir. C’est ainsi qu’est née la Dynamique des Femmes Juristes, avec l’objectif d’aider juridiquement les survivantes, de porter leurs voix devant les tribunaux, et de lutter contre l’impunité. Progressivement, nous avons aussi développé des actions de prévention, de sensibilisation, de formation et avons mise en place un Cadre de Concertation dénommé SAUTI YA MAMA MUKONGOMANI. Aujourd’hui, nous voyons des femmes autrefois victimes devenir à leur tour actrices de paix, médiatrices communautaires, et leaders d’opinion dans leurs villages. Cela prouve d’une certaine façon que les stigmates de la guerre, aussi profonds soient-ils, peuvent être surmontés.
Comment décririez-vous la situation actuelle à l’est du Congo ?
Elle est très critique. Des territoires entiers sont aujourd’hui sous le contrôle de groupes armés. Les violations graves des droits humains sont quotidiennes, notamment dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu.
Récemment, des bombes sont tombées dans un camp de déplacés. Nous avons documenté de nombreux morts, des victimes de violences sexuelles, des cas d’exploitation et d’abus. Nous constatons également des violations du droit international humanitaire à répétition.
Face à cela, nous avons mis en place des mécanismes de gestion des plaintes, pour continuer à accompagner les survivantes malgré tout. Mais les défis sont immenses. Car après la prise de la ville de Goma nous avons perdu nos espaces surs installés dans les sites des déplacés. Certaines zones sont devenues inaccessibles. Nos équipes, nos groupes d’action communautaires, sont dispersés. Nous avons dû suspendre certaines activités.
Le manque de financement pose aussi problème. Par exemple, un de nos projets humanitaires, soutenus par l’USAID, a été interrompu sous l’administration Trump, parce qu’il traitait de l’égalité femmes-hommes, un sujet alors jugé “non prioritaire”. Pour nous, c’était un projet essentiel pour renforcer la participation des femmes à l’action humanitaire, leur donner une visibilité et une reconnaissance.
Pourquoi est-il crucial d’inclure les femmes dans les processus de paix ?
Parce qu’elles sont les premières victimes des conflits, mais aussi les premières à reconstruire.
Les femmes savent ce que vivent les communautés : elles sont au chevet des blessés, elles s’occupent des déplacés, elles soutiennent les enfants. Pourtant, elles sont absentes des négociations, des décisions politiques, des processus de réconciliation.
Il est temps que leur parole soit entendue, que leurs besoins soient pris en compte. Pas seulement par justice, mais parce que la paix est plus forte, plus durable, quand elle est inclusive.
Quels sont les besoins à prendre en compte pour assurer cette inclusivité ?
D’abord, il y a le besoin fondamental de participation des femmes, un droit clairement reconnu par la Constitution congolaise ainsi que par des instruments internationaux, tels que la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU. Pourtant, dans les faits, les femmes sont systématiquement exclues des négociations et des prises de décision politique. Cette exclusion n’est pas seulement injuste, elle est aussi profondément contre-productive. De nombreuses expériences démontrent qu’une paix construite sans la participation active des femmes demeure fragile, incomplète, et souvent vouée à l’échec. C’est pourquoi nous militons sans relâche pour que les femmes soient pleinement impliquées à tous les niveaux, des pourparlers de paix aux programmes de réconciliation et de développement, car leur voix est essentielle pour bâtir une paix durable.
Ensuite, il y a des besoins spécifiques, liés à leur condition : hygiène menstruelle, sécurité dans les camps, soins adaptés… Trop souvent, l’aide humanitaire est conçue de manière neutre, sans prendre en compte ces réalités particulières, ce qui réduit son efficacité. Ignorer ces besoins revient à fragiliser la réponse à la crise et à prolonger la souffrance des femmes et des filles, qui constituent la majorité de la population congolaise.
Ainsi, la participation des femmes n’est pas seulement un droit, c’est une condition indispensable pour qu’une paix véritable et durable puisse voir le jour. Car une paix qui exclut une moitié de la société est une paix inachevée par essence.
Vous êtes aujourd’hui à Kinshasa. Vous avez quitté Goma, votre combat faisait-il de vous une cible?
Oui j’ai quitté Goma pour des raisons de sécurité. En tant que défenseuse des droits humains, j’ai accompagné des femmes dans des procès sensibles. Certains condamnés ont aujourd’hui été libérés. Imaginez : je me retrouve dans un environnement où ceux que j’ai aidé à faire condamner circulent en toute impunité… C’est une question de survie, pour moi et ma famille, mes enfants surtout. Mais mon cœur reste à Goma et mon combat continue.
Vous dites que votre combat continue, qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?
C’est la conscience d’une société civile congolaise qui reste mobilisée, debout malgré tout. C’est aussi le soutien de certains partenaires, qui continuent à croire en nous même dans l’adversité. Mais surtout, je garde foi en l’avenir. Je crois profondément que le changement est possible. J’ai toujours dit : “après la violence, il y a la vie”. Tant que Dieu nous accorde la vie, c’est qu’il nous donne aussi la force d’agir. Si on parvient à obtenir la paix, tout devient possible. Je pense souvent aux femmes et aux filles de mon pays : elles méritent de vivre dans la dignité, la sécurité. Cette conviction suffit à mon engagement.