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La Colombie, un pays qui rêve de paix et de justice sociale

19 juin 2020

La Colombie, un pays qui rêve de paix et de justice sociale

Le 19 juin 2020

Une analyse de Nely Osorno, Présidente de l’IPC[1], organisation partenaire de Solsoc en Colombie

 

L'accord de Paix signé en 2016 à La Havane, Cuba, entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC, a permis de rêver de paix et de justice sociale. L'ancienne guérilla a, depuis lors, déposé les armes pour devenir un parti politique. Depuis, différentes institutions ont créé des espaces afin d’établir la vérité et la paix.

Ces institutions se composent de la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP), tribunal judiciaire auquel participent d'ancien∙ne∙s guérillero∙a∙s, des membres de l'armée et certains non-combattants qui finançaient ou contribuaient et bénéficiaient du conflit. La Commission pour la Clarification de la Vérité (CEV), est une institution non judiciaire, qui cherche à construire un récit sur ce que la Colombie a vécu pendant un demi-siècle de conflit armé ; et enfin, l'Unité pour la Recherche des Personnes Disparues (UBPD), dont le travail humanitaire cherche à trouver et à identifier les plus de 80.000 personnes disparues, trois fois plus que celles laissées par les dictatures militaires au Chili et en Argentine.

13.510 ex-guérilleros ont quitté leurs armes pour rejoindre la vie civile. Ce conflit armé interne était un des plus long au monde car il s’agissait de la plus ancienne guérilla active, et il serait regrettable que l’Accord de Paix ne puisse aboutir car il constituerait un échec, non seulement pour la Colombie, mais aussi pour tous les processus de paix dans le monde.

Le 24 novembre 2016, date de la ratification de l'Accord de Paix à Bogota, est un moment important de la mise en œuvre des six points de l’Accord : 1. réforme rurale intégrale, 2. participation politique, 3. fin du conflit, 4. solution au problème des drogues illicites, 5. accord sur les victimes du conflit armé et 6. mise en œuvre, vérification et approbation

Malgré les quelques avancées, à partir de 2018, l'accord a subi une inflexion, un recul en termes d'application, lors de l'arrivée à la présidence d'Ivan Duque Márquez, qui, avec le parti gouvernemental (centre démocratique), a exprimé son désaccord avec le processus de paix.

Cette situation est visible dans la mise en œuvre de politiques régressives en termes de droits, tels que les droits du travail et ceux des minorités, ainsi que dans des pratiques telles que les exécutions extrajudiciaires, les massacres, le meurtre de dirigeant∙e∙s et de défenseur∙euse∙s des droits humains, la surveillance de l'opposition, des journalistes, des dirigeant∙e∙s, entre autres.

Trois ans et demi après la mise en œuvre de l'Accord de Paix, nous présentons quelques-unes des avancées et difficultés liées à la réforme rurale intégrale, à la substitution des cultures illicites, à la situation des dirigeantes et des défenseureuses des droits humains, à la situation de la population réincorporée et au travail du JEP, la CEV et de l'UBPD.

  • La réforme rurale intégrale

Le conflit pour la terre en Colombie est lié à l'origine des guérillas. Afin de transformer la campagne colombienne, l’Accord prévoyait de créer un fonds foncier, des Programmes de Développement avec une Approche Territoriale (PDET), dans les zones les plus touchées par le conflit et la mise en œuvre de plans qui permettraient d'investir dans les biens et services publics dans la campagne colombienne. Cependant, seuls 30 % du fonds prévu dans l'Accord ont été déposés et rien n'a été donné aux paysans.

  • Programmes de Développement avec une approche Territoriale - PDET

L'élaboration des 16 PDET a été considérée comme l'une des avancées majeures dans le domaine de la réforme rurale intégrale. Elaborés avec la participation des communautés, ils reflètent les besoins des municipalités et des villages qui ont été largement abandonnés par l'Etat. La construction collective de ces programmes a impliqué plus de 220.000 personnes dans 11.000 villages de 170 municipalités et quelques 32.000 initiatives ont été mises en œuvre dans les domaines de la santé, de l'éducation et du logement, entre autres. Les 16 PDET ont été signés entre août 2018 et mars 2019.

  • Solution au problème des drogues illicites

L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) assure que 96 % des paysans liés au Programme National Intégré de Substitution des Cultures Illicites (PNIS) ont respecté leur engagement d'éradiquer volontairement ces cultures, ce qui équivaut à 60 087 hectares de coca pour 99.097 familles. Cependant, le gouvernement du président Duque a suspendu, en 2019, l’intégration d'un plus grand nombre de familles à ce programme tout en assurant qu'il remplirait les engagements déjà signés avec son gouvernement. Dans le même temps, des membres de l'armée et de la police éradiquent de force les cultures illicites dans plusieurs régions du pays. Pendant la pandémie, cette pratique s'est intensifiée, laissant des paysan∙nne∙s assassiné∙e∙s et d'autres déplacé∙e∙s.

Le gouvernement insiste sur l'éradication forcée et sur la reprise des pulvérisations aériennes de glyphosate, plutôt que de poursuivre la substitution volontaire des cultures. Cette situation est aggravée par l’entrée de militaires américains qui font partie de la mission SFAB (Security Force Assistance Brigade), censée conseiller les forces militaires dans la lutte contre le trafic de drogue. Ce point de l'Accord de Paix ne sera donc pas respecté par le gouvernement, bien au contraire, il radicalisera la politique d'éradication forcée et de fumigation.

  • Le système intégral de vérité, justice, réparation et non-répétition

Le rapport des Nations unies souligne que la JEP a 7 affaires en cours, pour lesquelles 265.000 victimes ont été accréditées. L'Unité pour la recherche des personnes disparues (UBPD) a identifié 599 des 80.000 personnes disparues en Colombie. La Commission de la Vérité, pour sa part, a mené 11.700 entretiens individuels et collectifs avec des victimes, d'anciens combattants et d'autres acteurs, et a reçu des rapports d'organisations sociales.

La situation des leaders sociaux, des défenseureuses des droits humains

Selon les chiffres de l'Université d'Antioquia, 565 dirigeant∙e∙s et défenseur∙euse∙s des droits humains ont été assassinés en Colombie depuis la signature de l'Accord de Paix jusqu'en février 2020.  Entre janvier et le 24 mars 2020, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits Humains en Colombie, a reçu des plaintes concernant 56 meurtres de dirigeant∙e∙s sociaux et de défenseur∙euse∙s des droits humains. Et cela n'a pas cessé d’augmenter pendant la pandémie de Covid-19. On compte une augmentation de meurtres de femmes de 50% par rapport à 2018. Ce sont les dirigeant∙e∙s défendant les territoires, les peuples indigènes et afro descendants, les paysan∙nne∙s, les demandeur∙euse∙s de terres (reclamantes de tierras), les environnementalistes, les défenseur∙euse∙s de personnes LGBTI, les défenseur∙euse∙s de l'Accord de Paix, les syndicalistes, qui sont assassinés.

Situation de la population réincorporée

Depuis la signature de l'Accord, plus de 200 anciens guérilleros ont été tués. Ceux et celles-ci sont déplacé∙e∙s dans les Espaces Territoriaux de Formation et Réincorporation (ETCR) mais certain∙e∙s, sans garantie de sécurité, sont sous l’emprise de dissidents des FARC et des groupes paramilitaires.

Malgré cela, selon l'ONU, « les anciens combattants ont légalement constitué 139 coopératives et autres organisations productives, dont 18 sont dirigées par des femmes et 9 sont exclusivement composées de femmes ». Plus de 6000 ex-guérilleros suivent des programmes d’enseignement primaire, secondaire et professionnel.

Ces organisations d'économie solidaire sont la clé de la pérennité des projets productifs collectifs, la garantie de leur réincorporation dans la société et la construction de territoires solidaires.

Dans le contexte actuel, l’Accord de Paix n’est pas respecté ; il existe toujours des groupes paramilitaires, dissidents des FARC et de l’ELN (Armée de Libération Nationale), les élites politiques et des grandes entreprises allant à l’encontre des 6 points de l’Accord. De plus, des acteurs légaux et illégaux s'opposent aux avancées et aux résultats obtenus par les mécanismes de vérité, de justice et de réparation créés par l'Accord, qui, une fois atteints, permettraient de mettre fin au conflit armé en Colombie.

La crise actuelle a malheureusement renforcé ces aspects en mettant un frein aux avancées difficilement acquises et en renforçant la violence.

 

 

 


[1] L'Institut Populaire de Formation

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