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Chronique d'une délégation syndicale à l'OIT

8 juillet 2019

Chronique d'une délégation syndicale à l'OIT

La 108e Conférence internationale du Travail[1] (CIT) s’est tenue à Genève du 10 au 21 juin. Cet événement majeur célébrait aussi le centenaire de l’Organisation internationale du Travail[2].  Solsoc a pris part à la CIT dans le cadre d’une délégation composée de représentant∙e∙s de FOS, de partenaires syndicaux colombiens de SINALTRAINAL, SINTRAIMAGRA et USTIAM, et enfin de Solidar, réseau européen d’organisations progressistes.

En amont de ce grand rendez-vous, plusieurs autres évènements impliquant les partenaires syndicalistes colombiens ont eu lieu à Bruxelles: le lundi 3 juin, une délégation composée de Solsoc, des responsables syndicaux de la FGTB Horval, des syndicats colombiens SINALTRAINAL et USTIAM a rencontré la direction de Nestlé sur le site de Valvert à Etalle. Le mardi 4 juin, le lancement du documentaire et l’exposition photo Tierra de Lucha réalisés par FOS, IFSI et Solsoc sur le Travail Décent en Colombie a réuni plus d’une centaine de personnes au Cinéma le Palace. Le jeudi 6 juin, un lunch-débat organisé par FOS, IFSI et Solsoc – avec Horval, la Centrale Générale et l’aile néerlandophone de la FGTB – a permis des échanges fructueux entre les syndicalistes colombiens et leurs homologues belges.

A l’agenda de cette 108e Conférence internationale du Travail, l’adoption d’une convention concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, y compris fondés sur le genre. Ces problématiques sont particulièrement probantes pour le secteur du travail domestique et de façon plus générale pour les syndicalistes colombien∙ne∙s qui se mobilisent au quotidien. En effet, qu’il s’agisse d’entreprises sous-traitantes de InBev ou de travail à domicile, la violence et le non-respect de leurs droits sont malheureusement bien trop souvent le quotidien des travailleur∙euse∙s en Colombie.

La situation y est dramatique. La stabilité de l’emploi n’existe presque plus, le phénomène de sous-traitance a atteint un seuil critique se dressant contre les tentatives d’organisation des travailleur∙euse∙s, 431 leaders sociaux ont été assassiné∙e∙s du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018. De plus, les femmes et les jeunes sont particulièrement précarisé∙e∙s : en 2017, seulement 34,2 % des travailleur∙euse∙s pouvaient payer des contributions aux systèmes de protection sociale couvrant la santé, les retraites et les risques professionnels. Les jeunes, eux∙elles, ne sont que 47% à disposer d’un emploi et 80 % de ceux∙elles-ci travaillent en sous-traitance.

La participation de syndicalistes colombien∙ne∙s engagé∙e∙s dans les secteurs des multinationales et des entreprises colombiennes du secteur de l’alimentation (notamment des filiales de Coca-Cola, Nestlé, InBev) et du travail domestique à la Conférence internationale du Travail, a donné des visages et des voix à une lutte acharnée et incessante pour le Travail Décent.

Démarrage des travaux : des témoignages forts au service du plaidoyer

Lundi 10 juin. Le premier temps fort de cette semaine a été le démarrage des travaux de la Commission normative chargée d’amender les textes de la Convention et de la Recommandation sur la violence et le harcèlement au travail. Ces travaux sont le fruit des observations effectuées durant les précédents mois par des gouvernements et des organisations de travailleur∙euse∙s et d’employeur∙euse∙s.

Lieu de débats et de négociations parfois tendues, la Commission normative offre l’opportunité aux observateur∙rice∙s des délégations non officielles de s’exprimer durant la première session de la conférence. C’est ainsi que Berta Yolanda Villamizar, déléguée du syndicat SINTRAIMAGRA, organisation partenaire de FOS, a pris la parole devant une assemblée de plusieurs centaines de personnes. La militante syndicaliste a saisi cette opportunité pour transmettre des témoignages de trois de ses camarades et demander au nom de son organisation que la Convention reconnaisse la nécessité de se conformer à la recommandation 202 sur les socles de protection sociale et celle de mettre en place des systèmes de protection sociale qui garantissent des prestations et des services adéquats, afin de permettre aux victimes de dénoncer sans crainte la violence qu'ils∙elles ont subie au travail. 

Une conférence-débat pour dénoncer les violations des droits des travailleur∙euse∙s en Colombie

Mardi 11 juin. Après s’être familiarisées avec le fonctionnement de la Commission d’Application des Normes de l’OIT, nos organisations partenaires ont pris la parole lors d’une conférence-débat sur les conditions de travail en Colombie qui s’est tenue à la Maison internationale des associations à Genève.

Ulises Barraza du syndicat USTIAM a présenté les stratégies mises en place par les entreprises transnationales pour freiner le développement d’organisations syndicales fortes. A titre d’exemple, il a abordé le « pacto collectivo » qui est une instance de négociation officielle entre l’employeur et les travailleur∙euse∙s non syndiqués. La validation éventuelle de ce pacte par la majorité des travailleur∙euse∙s, a pour conséquence de restreindre le pouvoir de négociation du syndicat.

Berta Yolanda de SINTRAIMAGRA a ensuite expliqué les conditions particulièrement pénibles rencontrées par les travailleur∙euse∙s à domicile : discriminations, violences physiques et psychologiques, harcèlement moral et sexuel. Les femmes, majoritaires dans ce secteur, sont particulièrement vulnérables. En effet, celles-ci travaillent la plupart du temps sans contrat de travail, ni protection sociale, dans un environnement isolé où l’inspection du travail n’a quasiment pas de prise.

Enfin, Juan Carlos Galvis de SINALTRAINAL a raconté le dépôt de plainte effectué en 2001 par son syndicat à l’encontre de Coca-Cola devant la Cour fédérale de Floride aux Etats-Unis. Cette plainte a été déposée suite à des licenciements abusifs et une escalade de menaces et de violences envers les syndicalistes d’un sous-traitant de mise en bouteille en Colombie. Depuis février 2018, quatre camarades de lutte de Juan Carlos ont été assassinés.

Suite à ces interventions, les participant∙e∙s à la conférence-débat ont pu découvrir l’exposition photo Tierra de Lucha sur la condition des travailleur∙euse∙s en Colombie et leur lutte malgré la répression de l’Etat, des employeurs et des différents groupes armés.

Rencontres au sommet et marche pour les droits des femmes

Jeudi 13 juin. Après avoir observé la veille la Commission d’Application des Normes et la Commission normative, notre délégation a assisté à une séance d’information sur les Accords de Paix organisée par la Centrale Unitaire des Travailleurs de Colombie (CUT) et la Confédération des Travailleurs de Colombie (CTC). Cette réunion a vu la participation de nombreuses personnalités syndicales colombiennes. Une occasion pour les membres de notre délégation d’élargir ses réseaux, d’échanger et de récolter des informations utiles pour notre plaidoyer.

Enfin, c’est par une formidable mobilisation que s’est clôturée cette mission : une manifestation massive liée à la grève des femmes a rassemblé entre 15.000 et 20.000 personnes dans les rues de Genève. Une occasion exceptionnelle de se mobiliser ensemble, organisations belges et colombiennes, en faveur des droits des femmes.

A l’issue de cette expérience, Solsoc en tant qu’ONG a rempli son rôle d’observation et de facilitation dans la mise en relations de ses partenaires colombien∙ne∙s avec des acteurs clés présents à la CIT. L’essentiel étant que les partenaires syndicalistes y aient vu un réel enrichissement.

Ainsi, pour Ulisses Barraza, « Cette expérience a été très enrichissante au niveau personnel et collectif (…), nous avons eu l’occasion d’échanger avec des syndicalistes du monde entier, notamment sur des processus qui ont renforcé l’activité syndicale. Pour notre organisation, c’est très important d’être ici, de participer à ce type d’espaces et de découvrir comment se déroulent les débats entre gouvernements, travailleurs et employeurs, débat qui finalement affectent tous les travailleurs au niveau mondial. (…) Avec notre présence ici, nous montrons aux gouvernements et aux employeurs que nous sommes capables de porter des revendications dans les instances internationales. »

En plus de servir de caisse de résonance à leurs revendications, la Conférence internationale du Travail aura permis aux syndicalistes colombien∙ne∙s d’élargir leur réseau, d’approfondir leurs connaissances sur le fonctionnement complexe de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et de saisir des opportunités pour renforcer un plaidoyer de longue haleine mené en faveur du Travail Décent. Une expérience à réitérer !

 


[1] Conférence internationale du travail : https://www.ilo.org/ilc/ILCSessions/108/lang--fr/index.htm

[2] Page du Centenaire de l’OIT : https://www.ilo.org/100/fr/

Notre délégation à la Conférence internationale du Travail

Notre délégation à la Conférence internationale du Travail

Négociations de haut niveau à la Conférence internationale du Travail

Négociations de haut niveau à la Conférence internationale du Travail

BertaVillamizar du syndicat SINTRAIMAGRA après son intervention sur les droits des travailleuses domestiques

BertaVillamizar du syndicat SINTRAIMAGRA après son intervention sur les droits des travailleuses domestiques

Intervention d'Ulisses Barraza du syndicat USTIAM

Intervention d'Ulisses Barraza du syndicat USTIAM

Intervention de Juan Carlos du syndicat SINALTRAINAL

Intervention de Juan Carlos du syndicat SINALTRAINAL

L'exposition photo Tierra de Lucha à la Maison internationale des associations de Genève

L'exposition photo Tierra de Lucha à la Maison internationale des associations de Genève

Grève des femmes à Genève, le 14 juin

Grève des femmes à Genève, le 14 juin

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