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Maroc : « L’autonomisation économique des femmes est le premier pas pour qu’elles aient accès à leurs droits, puis aux postes de décisions ».

5 mars 2021

Maroc : « L’autonomisation économique des femmes est le premier pas pour qu’elles aient accès à leurs droits, puis aux postes de décisions ».

Tags : Maroc | Droits des femmes | Économie sociale et solidaire

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Photos réalisées par Bibbi Abruzzini 

Rencontre avec AFAQ (Action Femmes des Associations des Quartiers du grand Casablanca)

À l’occasion du 8 mars, nous avons rencontré AFAQ (Action Femmes des Associations des Quartiers du grand Casablanca), une organisation marocaine partenaire de Solsoc, pour qu’elle nous présente travail qu’elle mène avec les femmes issues de quartiers populaires à Casablanca et l’impact qu’a eu la crise sanitaire sur elles et sur l’organisation.

Amina, Kenza, Mounia et Lama nous rencontrent ce mercredi matin, à travers nos écrans interposés d’ordinateur. La technologie, elles la maîtrisent et elles se sont approprié les derniers outils de la modernité, comme les smartphones, pour se réinventer pendant le confinement.

L’émancipation économique comme premier outil de lutte des femmes

AFAQ fonde son approche sur le travail de proximité, l’éducation populaire, la participation de tou.te.s et le respect environnemental. A travers son action dans les quartiers populaires de Casablanca dans lesquels on retrouve des familles particulièrement précarisées, AFAQ identifie des femmes qui vivent des situations importantes de vulnérabilités et de discrimination : principalement des femmes veuves ou divorcées. Pour ces femmes, c’est l’autonomie économique qui sera la première clé de leur émancipation et qui sera un outil de lutte contre les violences qu’elles subissent. « Les femmes subissent de la violence de la part de leurs maris, de leurs pères, de leurs frères, de leurs voisins … La femme dans les quartiers populaires c’est l’élément le plus « fragile ». Mais si elle est indépendante économiquement, elle n’est plus dépendante de ces hommes. On travaille sur deux aspects avec elles, l’accompagnement économique et sur la confiance en soi » nous explique Amina Zaïr, présidente d’AFAQ. Kenza Chaaibi, responsable de projet, ajoute « l’autonomisation économique des femmes est le premier pas pour que les femmes aient accès à leurs droits, puis aux postes de décisions et à la vie politique ».

Une voie : l’économie sociale et solidaire

Depuis 2014, AFAQ accompagne 120 femmes par an dans leur accès au marché du travail à travers des formations professionnalisantes, mais aussi en gestion administrative et financière, et via des ateliers de gestion de conflit ou de prise de parole. AFAQ a ensuite proposé aux participantes à leur formation de créer ensemble des initiatives d’économie sociale et solidaire dans différents domaines (couture, boulangerie, esthétique, etc.). Et en 2015, c’est 11 initiatives qui voient le jour. Petit à petit, les bénéfices générés par ces initiatives grandissent et les revenus des femmes s’améliorent, elles acquièrent une indépendance financière. En 2016, les initiatives prennent la forme de coopérative et elles renforcent leurs pratiques d’économie sociale et solidaire notamment grâce à différents outils et ateliers développés et organisés par l’ensemble des partenaires de Solsoc dans le monde, actifs sur cette thématique. Les coopératives s’organisent en véritable mouvement social et en 2019 elles organisent un forum international de l’économie sociale et solidaire, comme espace de partage et de rencontre avec d’autres expériences de Palestine, du Burkina Faso et du Sénégal. Elles identifient alors une série de revendications lors d’ateliers autogérés qu’elles vont porter vers le gouvernement marocain.

Mars 2020 : la quarantaine et la nécessité de soutenir les femmes accompagnées

En mars 2020, le Maroc est touché comme le reste du monde par l’épidémie de covid-19. Très vite le pays impose une quarantaine très stricte de 3 mois. Une vraie transition se fait dans les stratégies d’accompagnement des femmes par AFAQ.

Pendant la quarantaine, les plaintes et les demandes de soutien des femmes sont inquiétantes. « Nos téléphones n’arrêtaient plus de sonner ! Les femmes que nous accompagnons nous signalaient énormément de violence », explique Amina, « avant la quarantaine, l’homme, que ce soit le mari, le fils, le frère, le père, était majoritairement à l’extérieur de la maison, au café ou au travail, avec la quarantaine, il doit rester à l’intérieur, il prend alors tout l’espace ».

WhatsApp, nouvel espace d’échange

AFAQ se réinvente et développe une stratégie vers les femmes des coopératives, mais aussi plus largement vers les femmes des quartiers populaires.  Elles ne maitrisent pas les outils digitaux, mais par contre, elles ont toutes un téléphone. AFAQ organise alors des groupes WhatsApp pour que les femmes de chaque quartier puissent échanger entre-elles. « C’est devenu des espaces alternatifs de débat et d’expression pour les femmes entre-elles, mais qui nous ont aussi permis de suivre les problématiques que les femmes vivaient dans les quartiers » raconte Amina Lama, chargée de communication pour AFAQ. Dans les problèmes soulevés, on retrouve alors principalement des signalements de souffrance psychologique, ensuite on retrouvait beaucoup de violence physique, et enfin des souffrances dues à une très grande précarité économique. « On retrouvait souvent le cas de familles où l’homme travaillait et ramenait la principale source de subsistance. Avec le confinement, son activité a été mise à l’arrêt, il est en colère et retourne sa colère sur sa femme ».

Ces femmes ont alors été intégrées dans les coopératives, en particulier de couture, et ont bénéficié de cours à distance, via leur téléphone, pour réaliser des objets d’artisanat, comme des masques qui faisaient l’objet d’une forte demande. Ils ont ensuite été commercialisés pour leur fournir un petit revenu.

Les coordinations locales se mobilisent

Des coordinations locales d’AFAQ étaient déjà en place avant la quarantaine dans chaque quartier. Ces coordinations ont pu faire pression sur les autorités locales pendant le confinement pour notamment faire bénéficier tous les quartiers des campagnes de désinfections et de stérilisation des espaces publics. De plus, l’État avait mis en place un fonds solidaire : AFAQ a rapidement réalisé que c’était majoritairement des hommes qui y avaient accès, car ils savaient comment remplir les documents. Les coordinations locales ont donc appuyé les femmes pour y souscrire afin qu’elles puissent bénéficier directement de ce fonds.

Les coopératives au front lors de la crise sanitaire

Les coopératives ont été obligées pendant le confinement de fermer leurs espaces de vente, à l’exception des coopératives de la restauration. Mounia Ohanou, coordinatrice du programme d’économie sociale et solidaire, revient sur cette période : « Les coopératives de couture se sont adaptées : les femmes ont ramené chez elle les machines de couture pour continuer la production. Elles ont commencé à coudre des masques et faire des vêtements pour les enfants lors de la fête de Ramadan. Ensuite, les jeunes[1] ont aidé à la commercialisation des articles sur les réseaux sociaux, ou pour la livraison des produits. Les coopératives de restauration, qui avait l’habitude d’être appelée pour des grands évènements, fêtes, mariage, ont dû aussi trouver des solutions pour écouler les produits périssables qu’ils avaient en stock. Elles ont donc mis en place des services de livraison ».

Les coopératives ont également mis sur pied toute une série de mesures solidaires, notamment grâce aux véhicules dont elles disposaient : transport de personnes âgées ou malade pour se faire soigner, distribution de paniers alimentaires solidaires, distribution de médicaments (en particulier l’insuline, car il y a beaucoup de personnes diabétiques dans ces quartiers), intervention urgente durant deux mois pour une vingtaine de jeunes mères pour fournir l’essentiel pour leur bébé (vêtements, lait, couches, etc.), appui administratif, etc.

Mars 2021, les femmes portent leurs revendications devant les élus

Au terme d’un processus démocratique, un groupe de 32 « leadeuses de changement » a été créé. Une campagne de plaidoyer envers les présidents des 16 arrondissements de Casablanca a été menée : deux femmes de chaque arrondissement (une d’un quartier, et une femme active dans une coopérative) interpellent directement leur président lors d’un espace virtuel organisé par AFAQ sur la situation dans leur arrondissement : l’accès à l’espace public ou sur le rôle des femmes dans les programmes et politiques public. Le 8 mars, et à l’issue des interpellations par arrondissement, les 32 femmes du groupe vont porter leurs revendications vers le président de la commune de Casablanca et le président de la région. Ensuite un mémorandum sera élaboré et porté devant les décideurs, notamment sur les besoins spécifiques des coopératives dans la loi sur l’économie sociale et solidaire.

En mars AFAQ va également lancer une campagne pour changer l’image de la femme dans les quartiers. Pour cela, elles ont notamment travaillé via des débats et une grande campagne de sensibilisation sur les proverbes marocains qui légitimisent et normalisent la violence faite aux femmes. En effet, une série de proverbes vont par exemple faire passer l’idée qu’un homme est un grand leader s’il est violent envers sa femme.

Enfin, AFAQ renforce les femmes pour qu’elles se présentent sur les listes des prochaines élections, mais aussi pour que les femmes de quartiers votent. Quatre femmes accompagnées par AFAQ sont aujourd’hui sur les listes pour les élections à la chambre de l’artisanat, et pourraient donc avoir accès à ces postes de décision. Amina conclu, « Aujourd’hui, la priorité est d’encourager les femmes à faire le premier pas pour accéder à la vie publique, car c’est la clé pour améliorer la situation des femmes au Maroc ».

 

[1] Soutenus par AJR (Action Jeunes Régionale des associations des quartiers), organisation partenaire de Solsoc au Maroc

 

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