Donc, les paramilitaires sont originaires de la région?
"Ils vivent tout près, dans des campements armés à environ un kilomètre d'ici. Ils font souvent irruption chez des paysans et exigent leur récolte. Mais ils n'entrent pas dans le village avec leurs armes en plein jour. Sans doute serait-il alors trop évident que l'armée et les politiciens collaborent avec eux (le ton est cynique)."
Pourquoi visent-ils votre village?
"La terre, très fertile, est la principale raison de la violence. Elle intéresse les paramilitaires et les autorités. Avant, quand les FARC avaient encore de l'influence ici, l'armée nous considérait comme des guérilleros. Ils disaient que nous faisions tous partie des FARC. De plus, la présence de la guérilla a attiré les milices d'extrême droite. L'armée n'y a jamais rien fait. Pour nous, le gouvernement est donc complice de la violence."
De quelle sorte de violence parlez-vous?
"Il y a eu ici plusieurs massacres. Je me rappelle qu'un matin quatre cadavres jonchaient les rues. Or, l'armée était présente toute la nuit ! Ils sont donc coupables non seulement pour ce qu'ils ont fait mais aussi pour ce qu'ils n'ont pas fait. D'ailleurs, ce genre de choses arrive encore. Il y a quelques semaines, un matin, le village s'est retrouvé barbouillé des slogans haineux des paramilitaires. Là encore, l'armée était présente. Nous avons tout recouvert de messages d'espoir. Nous ne nous laissons pas effrayer, nous voulons la paix."
RÉACTION
Après des années d'agressions contre les villageois, l'armée s'est lancée dans une offensive de charme. Des délégations internationales guidées par des militaires et accompagnées par la police sont très visibles dans ce village ensoleillé de la montagne colombienne. Des militaires se baladent aussi à l'école primaire, pour faire des animations avec les enfants.
"Mais nous ne voulons pas d'eux dans les écoles. Pour nous, c'est une violation évidente du droit international. (la Safe School Declaration dit, par exemple, que les militaires ne sont pas les bienvenus dans les écoles dans une zone de conflit, ndlr.) Raison pour laquelle nous avons déposé une plainte auprès du ministère public."
Avez-vous l'impression que les autorités vous écoutent?
"Parfois, oui. Quand nous avons signalé que des paramilitaires en armes s'approchaient des écoles, le ministère public a organisé une espèce de système d'alerte qui nous avertit en cas de menace de violence paramilitaire. L'État a aussi envoyé une commission spéciale quand nous avons signalé les slogans terroristes sur les murs. Mais il y a aussi d'autres moments où les autorités se montrent hostiles: il y a quelques années, nous avions organisé une grève avec les étudiants de l'école secondaire parce que la caserne avait été construite trop près de l'école. Finalement, on m'a arrêté avec sept autres étudiants et j'ai été mis en prison. Au lieu de se déplacer sur le terrain proposé, l'armée s'est tout simplement approprié le nouveau terrain."